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LA GUERRE POLONO-BOLCHEVIQUE, LA BATAILLE DE LA VISTULE (1920),ET «LINSURRECTION » DE VARSOVIE (1944):DEUX BATAILLES DE VARSOVIE AUX CONSEQUENCES CAPITALES POUR LEUROPE. (Ceci est le texte dune conférence prononcée le 29 novembre 2005 à la Société Historique et Littéraire Polonaise de Paris, lors de la réunion traditionnelle commémorant lInsurrection polonaise de Novembre 1830, et inaugurant solennellement lauditorium Jean Paul II à la Bibliothèque Polonaise du Quai dOrléans à Paris. Ce texte a été développé, pour prendre la forme dun cours donné à lUniversité dOrléans le 15 mars 2006)
PAR ALEXANDRA VIATTEAU La victoire de Varsovie sur le bolchevisme de Moscou en été 1920 fut une victoire nécessaire, décisive et bienfaisante pour la liberté de l'Europe démocratique. La défaite de Varsovie dans sa bataille contre le nazisme de Berlin en été 1944 marqua une tragédie pour la Pologne, mais seulement un retard dans la libération de l'Europe. En 1944, l'Europe occidentale, elle même encore dans les affres de la guerre, resta indifférente à un événement géographiquement éloigné, qu'elle connaissait peu, comprenait mal, et qu'embrouillait encore une propagande soviétique mensongère forte de la puissance communiste et de la popularité stalinienne. Pourtant, entre les deux batailles de Varsovie, celle de la Vistule et lInsurrection, il y a des similitudes. C'est, d'une part, l'importance capitale de la situation politique, idéologique et diplomatique internationale, qui dominait les opérations militaires. D'autre part, c'est la volonté qui apparaît visiblement ou en filigrane dans les archives concernant la France et l'Angleterre d'encourager l'action militaire polonaise protectrice de nos territoires et intérêts, tout en paralysant son action politique autonome à l'Est et face à la Russie soviétique. (Cf. Archives du Quai dOrsay de 1944 in Alexandra Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947 », éd. du Seuil, Paris, 1999 ; A. Viatteau, « Lapport de la Pologne aux vingt ans de paix entre les deux guerres (1919-1939) » in « Les sociétés, la guerre et la paix de 1911 à 1946 », dir. Gérard Berger, éd. Ellipses, Paris, 2003). En 1920, Pilsudski a bousculé et franchi les obstacles politiques à la victoire polonaise, car son action militaire était indispensable à la sécurité de lEurope occidentale, menacée par la volonté dexpansion de la Révolution russe, et par le revanchisme allemand.
Pareille action périlleuse et héroïque fut recommencée pendant la bataille de lInsurrection de Varsovie en été 1944. Cependant, en 1944, l'Armée de l'Intérieur de la Résistance polonaise et ses chefs échouèrent dans les filets politiques et idéologiques des Alliés soviétiques. La bataille de Varsovie, qui aurait pu, sans aucun doute, ainsi quen ont témoigné les généraux de la Wehrmacht, être matériellement une victoire militaire commune polono-russe sur le nazisme, fut perdue par les Polonais, mais au profit de Staline.
En 1920, la situation était complexe. Pilsudski, tout en combattant les agresseurs bolcheviques, ne tenait pas à appuyer activement les armées russes blanches, dont les chefs tsaristes ne reconnaissaient pas lindépendance reconquise en 1918 de la Pologne. En cela, Pilsudski provoqua une certaine irritation de la France, très attachée à la Russie. Lhistorien français Henri Grappin écrivait alors à propos de la ligne politique de Paris qui avait précédé le recouvrement de lindépendance par lEtat polonais : « En acceptant que la Pologne soit une affaire intérieure de la Russie, la France affaiblissait la configuration de lEurope contemporaine ». (Cf. Henri Grappin, « Histoire de la Pologne des origines à 1922 », éd. Larousse, Paris, 1922).
L'Angleterre, pour sa part, jouait un double ou même quintuple jeu entre la Pologne, la Russie rouge et la Russie blanche, l'Ukraine et l'Allemagne, tous ces pays où lempire britannique voulait étendre ses influences. La France et lAngleterre avaient, à la fois, une vision politique d'avenir, pleine de justesse, d'une alliance des démocrates anti-bolcheviques russes avec une Pologne qui revenait dans le jeu des puissances européennes. Mais, les deux puissances occidentales ne perdaient pas, non plus, de vue leurs propres intérêts politiques et économiques à concilier avec leurs alliances et dautres influences européennes à l'Est. Les Russes eux-mêmes, en Russie et en émigration, à Londres et à Paris, mais aussi à Varsovie, avaient des intérêts divergents et des alliances complexes.
Certains intellectuels russes démocrates et socio-révolutionnaires de Février 1917, qui avaient fui la Russie après le coup dEtat bolchevique dOctobre étaient proches de Pilsudski et de certains milieux intellectuels polonais, par exemple de Maria et Jozef Czapski. Ils faisaient appel à la Pologne, tout comme à la France, pour délivrer leur pays du bolchevisme de Lénine et de Trotsky. Le philosophe russe Dimitri Merejkovsky voyait dans les Polonais de « nouveaux Varègues », qui devaient vaincre les bolcheviques dévastateurs et aider à remettre la Russie sur les rails de la culture européenne. « Si la Pologne ne fait pas cela et ne remplit pas cette mission historique, disait à cette époque Merejkovsky à Varsovie, ce que racontait dans ses mémoires Maria Czapska, loccasion ne se représentera plus, et la Russie tombera dans létreinte allemande, puis, avec lAllemagne, elle étouffera la Pologne ». Vision stratégique et politique très juste de la part dun philosophe.
On connaît peu cet aspect de la Pologne, qui devient le refuge occidental de réfugiés russes blancs, démocrates et socio-révolutionnaires, et la potentielle libératrice de la Russie avec lEntente européenne. LEntente, qui regroupait avant la Révolution dOctobre 1917 la France, lAngleterre et la Russie au détriment de la Pologne, dont les partages étaient agréés par lEurope : « péché mortel de lEurope », selon le mot de Talleyrand.
La Russie bolchevique, quant à elle, avait un projet dexpansion en Europe dont l'Allemagne était le pivot. Pour Lénine et Trotsky, il était nécessaire d'abolir les barrières en Europe. Notamment les nouvelles barrières nationales qui avaient succédé au champ ouvert des empires en balayant ceux-ci, mais en cloisonnant le terrain d'action révolutionnaire, quil fallait donc à nouveau ouvrir aux vents de la révolution. La jonction russo-allemande était compromise par le retour sur la carte de l'Etat Polonais, décidé à défendre sa démocratie et son indépendance nationale devant lassaut du nouvel impérialisme rouge de Moscou et de la dictature communiste des Soviets.
Pour Lénine et Trotsky, la Pologne, "rempart" de l'Europe, devait être prise pour pénétrer l'Occident et pour le "fédérer" en le soviétisant dans une "Union prolétarienne" communiste. C'est alors, dès novembre 1918, que Trotsky déclencha le véritable commencement de la guerre polono-bolchevique. Les visées agressives de Moscou avaient un objectif, précisé le 30 octobre 1918 par Trotsky: "La Lettonie libre, la Pologne et la Lituanie libres, la Finlande libre et l'Ukraine libre seront le lien étroitement serré entre la Russie Soviétique et les futures Allemagne et Autriche-Hongrie Soviétiques. Ce sera une fédération européenne communiste une Union des Républiques prolétariennes d'Europe". Ladjectif « libre » voulait dire que ces pays seraient « libérés de la bourgeoisie » par le communisme bolchevique. L'objectif fut répété par Trotsky le 10 mai 1920, alors que le maréchal bolchevique et nationaliste russe, Mikhail Toukhatchevsky, prononçait alors ce mot terrible: "Dans l'Ouest se joue la destinée de la Révolution universelle et la route de l'incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne".
Marx lui-même, Européen occidental, avait redouté dans son uvre "le rajeunissement de l'Europe par le knout révolutionnaire russe", mais l'Allemagne, dans son arrogance, croyait toujours pouvoir diriger la Russie, même celle des Soviets, ainsi que l'Ukraine et les Pays Baltes. A condition, pour l'Allemagne aussi, de neutraliser l'influence polonaise dans ses territoires orientaux ancestraux retrouvés, et de neutraliser la Pologne tout entière de préférence.
Les influences polonaises à l'Est portaient aussi, en partie, ombrage à la France et à l'Angleterre. C'est l'une des raisons du soutien politique mitigé de ces deux puissances occidentales à la Pologne en 1919-1920, alors quelles appréciaient, par contre, l'intangible fidélité polonaise dans la défense militaire de l'Europe. La grande idée de Pilsudski de fédérer avec la Pologne, sous son autorité et celle de lEntente occidentale, les pays aux confins européens orientaux frontaliers de la Russie était en principe appuyée par la France. Mais, il faudrait peut-être examiner plus à fond les intentions et les inquiétudes réelles de Paris face à une Pologne qui était en passe de redevenir, certes sous les auspices de l'Entente, mais tout de même à son propre profit, le refuge occidental des démocrates russes et une puissance fédératrice des Marches orientales de l'Europe. En 1919-1920, la France et l'Angleterre, soudain menacées directement par le bolchevisme moscovite, décidèrent de soutenir la Pologne, car la soviétisation de l'Europe était un danger réel pour la démocratie et pour les intérêts de tous nos pays. Evidemment, la manière dont le soutien à la Pologne était proposé, était équivoque. Dans une lettre à Pilsudski, Boris Savinkov, Russe proche dAlexandre Kerensky (dirigeant de la Révolution de Février et protégé de l'Entente) présenta la position anglaise: "Churchill m'a dit que (...) le Gouvernement britannique restera neutre et refusera toute aide aux Polonais si les bolcheviques ne remportent pas de succès. Si, par contre, les bolcheviques remportent des succès, alors, à son avis, la Grande Bretagne ne permettra pas que la Pologne soit écrasée..." (Cf. Archives polonaises, éditées par Janusz Cisek, "Sasiedzi i wojna 1920 roku", éd. Polska Fundacja Kulturalna, Londres, 1990, dos. V, doc. 3).
La position du Président Millerand à Paris était semblable. En tous cas, à Londres ou à Paris, on ne voulait surtout pas que la Pologne fasse une paix séparée avec les bolcheviques, car elle protégeait lEurope occidentale aux avant-postes. Laction armée polonaise continue, c'était la condition de l'appui franco-anglais, à ce moment-là. Car, après la victoire polonaise de la bataille de la Vistule en août 1920, les prises de position changeront quelque peu au détriment de la Pologne victorieuse, qui ne devait pas tirer trop davantage de sa victoire.
Donc, depuis novembre 1918, des opérations opposant Polonais et bolcheviques étaient engagées, avec des victoires et des défaites des deux côtés. Lénine et Trotsky décidèrent d'ébranler une offensive générale progressive en mars 1920. L'invasion bolchevique de la Pologne seule n'aurait peut-être pas autant effrayé nos chancelleries que la perspective d'une unification communiste de l'Europe par la jonction germano-soviétique révolutionnaire rouge. C'est cela que la Pologne devait combattre en première ligne. Paris et Londres étaient clairs: la Pologne ne devait pas combattre par pure autodéfense, pour défendre ses citoyens contre la barbarie révolutionnaire des Soviets et les massacres de leur Tchéka ; encore moins pour ses terres à reprendre à la Russie (notons que la juste indépendance actuelle de ces pays était à lépoque impensable pour toutes les puissances européennes).
La Pologne devait simplement combattre contre l'expansion du bolchevisme en Europe. Si elle protégeait l'Europe, l'Entente, en échange, "ne l'abandonnerait pas", à condition, bien entendu, que la Pologne ne prenne pas trop avantage sur la Russie. Pilsudski avait bien compris le message, qui ne lui parut pas satisfaisant pour la sécurité et les intérêts de son pays. Il a donc livré bataille à sa manière: sur la Vistule, devant Varsovie assiégée et en péril, en août 1920, puis, en poursuivant l'ennemi, sur le Niemen, en septembre 1920. Enfin, en arrêtant la guerre et en signant la paix avec les bolcheviques par le Traité de Riga en mars 1921, quand l'Entente voulait qu'il combatte encore. La Pologne avait une certaine marge politique de manuvre en 1920-1921, car elle était en première ligne, mais elle n'était pas la seule menacée. En 1944, la situation était très différente. On était encore loin de la Guerre froide que loccupation et loppression soviétique dans son « camp », au nom bien porté, ainsi que la construction du Mur de Berlin, avaient déclenchée contre le communisme. En 1944, les Alliés anglo-américains et français (pour des raisons différentes) étaient en bonne partie soviétophiles, voire stalinomaniaques. Ils n'avaient ni envie, ni besoin, croyaient-ils, que la Pologne endigue un déferlement ou une avance communistes, identifiées par la puissante propagande soviétique, et par ses caisses de résonance, non seulement à l'antifascisme et à l'antinazisme, mais aussi à la "démocratie" et au « progressisme ». D'autre part, en 1944, il n'était pas question, en apparence, de jonction révolutionnaire entre une URSS rouge et une Allemagne rouge. Ces choses-là semblaient appartenir au passé. La RDA (Allemagne de lEst) dau-delà du Mur de Berlin napparaîtra que plus tard comme un allié particulièrement dur et agressif de lURSS dans la lutte pour lexpansion mondiale du communisme soviétique.
En prenant de la distance, on s'aperçoit qu'en été 1944, la bataille a opposé, à Varsovie, la Résistance polonaise de l'Armée de l'Intérieur (AK) aux armées nazies, mais que, sur ordre de Staline, les armées soviétiques, en s'immobilisant au lieu davancer, comme cela était convenu, aidèrent Hitler passivement (ou activement par leur passivité).
En 1920, par contre, le combat avait opposé les armées polonaises aux armées bolcheviques, et ce furent les Allemands qui aidèrent activement les Russes dès février 1920, ce qui menaçait aussi la France. Un accord secret entre le gouvernement bolchevique et les « nationaux-bolcheviques » allemands était arrangé par le camarade Karol Radek. (Cf. dossier IX, doc. 9 in Janusz Cisek, op.cit.).
Le 29 mars 1920, le général anglais Spears et le général français Henrys informent Pilsudski, par l'intermédiaire de Savinkov, que les Allemands concentrent leurs troupes en Prusse Orientale pour envahir la Pologne au moment adéquat. L'information est confirmée de Riga, de source suédoise, et de Berne, par le Renseignement, puis communiquée le 22 avril 1920 au Commandement suprême de l'Armée polonaise par le ministère des Affaires étrangères à Varsovie: "Les Allemands doivent intervenir contre la Pologne à la frontière occidentale pour retirer les forces polonaises du front oriental. Les Allemands doivent s'occuper de l'organisation de l'armée bolchevique. En cas de victoire de celle-ci, les Allemands doivent recevoir des terres russes à coloniser...". (Cf. Archives polonaises, notamment du ministère des Affaires étrangères et du 2ème Bureau, éditées par Janusz Cisek, op. cit., dos. IX, doc. 4).
Le 4 juin 1920, Le Chef de lEtat polonais reçoit un rapport d'une précision remarquable sur les contacts qui se resserrent entre armées bolcheviques et allemandes. (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 1). Il y a 6000 officiers allemands et 4 divisions purement allemandes qui luttent avec les armées bolcheviques contre la Pologne en 1920. « Marche à lOuest ! » : loffensive bolchevique finale est lancée un mois plus tard. Le 4 juillet 1920, avec 5,5 millions de soldats bolcheviques mobilisés, 3000 canons, 250 trains blindés, les 4 armées du front nord-ouest de Toukhatchevsky commencent à foncer, à 30 kilomètres par jour, contre larmée de 700 000 défenseurs polonais. La veille, le 3 juillet 1920, le commandant en chef polonais, Jozef Pilsudski, a lancé un appel à la levée populaire de tous les volontaires pour défendre la patrie en danger. Un mois plus tard, au début daoût 1920, Pilsudski note : « Je ressentais la pression de mon environnement militaire pour que je donne de nouvelles dispositions, car notre capitale, Varsovie, était menacée ».
Toukhatchevsky, de son côté, est persuadé que larmée polonaise est complètement démoralisée, et que les soldats, ainsi que leurs officiers, ne croient pas avoir de chances de victoire. Isaac Babel, lécrivain soviétique, future victime des purges staliniennes, mais à lépoque soldat de la Ière armée à cheval bolchevique, qui envahit la Pologne, écrira dans son ouvrage « Konarmia » (La Cavalerie rouge) quil est mortellement triste car : « nous réduisons tout en ruine, nous avançons comme une tornade, comme une lave, haïs de tous ». Jozef Unschlicht, un des membres du parti communiste polonais, dont les dirigeants attendent impatiemment larrivée des troupes bolcheviques (au demeurant chez un curé de campagne, qui ne sait pas qui sont ces gens, comme le raconte lécrivain polonais Stefan Zeromski !) pour former un gouvernement soviétique à Varsovie, déclare alors que : « la prise de Varsovie nest pas le but ; cest le commencement de la Révolution européenne ».
Le 28 juillet 1920, le 2ème Bureau polonais informe Varsovie que: "(...) Gurtych a remis le 22 juillet à Kopp les documents autorisant Kopp à conclure un PACTE MILITARO-POLITIQUE entre les Soviets et l'Allemagne... Le 23 juillet, une commission militaire soviétique avec le général Parski, chargé de directives d'ordre opérationnel et diplomatique, a quitté Moscou, via Revel, pour Berlin..." (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 7). "Au dernier moment, notre agent de Krolewiec (Koenigsberg, aujourd'hui Kaliningrad AV) rapporte que le 27 juillet a eu lieu une réunion secrète de tous les commandants et officiers du Wehrkreiskommando I. Il a été décidé que, lorsque les bolcheviques franchiraient la frontière de la Prusse Orientale, les Allemands feraient semblant de s'y opposer, mais qu'ils les laisseraient passer, afin que les armées bolcheviques puissent prendre le chemin le plus court pour occuper Varsovie. La réunion était dirigée par le général von Dassel". (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 9).
Alors, à la veille de la bataille de la Vistule daoût 1920, Boris Savinkov fait parvenir à Pilsudski le cri d'alarme français de Paris: "Sommes-nous au bord du bolchevisme paneuropéen?". Les Polonais auront-ils la force de contenir par les armes l'attaque puissante du national-bolchevisme russo-germanique? La France commençait à s'en inquiéter mortellement, car ce qui se passait sur la Vistule se manifestait soudain bruyamment sur le Rhin. Le numéro 24 de 1920 du « Bulletin de l'Armée du Rhin » publia une revue de la presse allemande qui stupéfia Paris, sans étonner Varsovie: (...) La « Germania » nous décrit ainsi une fête: "Les habitants de Soldau ont salué les guerriers rouges avec une bruyante jubilation. Ils ont paré leurs maisons du vieux drapeau allemand. Les fanfares russes ont fait leur entrée dans la ville au son des marches militaires prussiennes. Les Allemands de l'Est (il ne s'agit pas encore de la RDA! AV) voient dans les troupes rouges, non les représentants d'un système gouvernemental condamnable, mais les adversaires vainqueurs des Polonais"... "De nombreux réactionnaires allemands pensent déjà à une fraternisation avec le bolchevisme, écrit le « Berliner Tageblatt » (...) On pense alors marcher la main dans la main avec les bolchevistes pour bouter les Français hors de l'Empire aux sons alternés de l'Internationale et des marches militaires prussiennes"...
Ce qui est extraordinaire, c'est que la presse allemande annonça alors, en août 1920 la prise de Varsovie par les armées bolcheviques avec le même enthousiasme que le ministre soviétique des Affaires étrangères de Staline, Molotov, mettra en septembre 1939 à féliciter Hitler pour la prise de Varsovie par les armées nazies! A cela près, qu'en 1939, Varsovie n'avait pas encore été prise, et qu'en 1920, elle ne fut pas prise du tout. Au contraire, les armées polonaises infligèrent une terrible défaite aux armées de Lénine. La guerre polono-bolchevique fut la seule guerre perdue par les Soviétiques, avant celle dAfghanistan.
Revenons à la revue de la presse allemande par le « Bulletin français de l'Armée du Rhin »: "APRES LA PRISE DE VARSOVIE. (!!!) La joie des nationalistes d'Allemagne devint du délire lorsque la presse annonça cette chute. Un des morceaux des plus savoureux nous fut donné par la « Hessischer Volksfreund »: "A Varsovie, le drapeau bolcheviste flotte; c'est la victoire de l'esprit de réconciliation des peuples sur l'esprit de discorde". Comme quoi la « paix » et la « réconciliation », dans la propagande des forces agressives, sont souvent des termes faisant lapologie de la guerre et de lagression.
Enfin, le comte Rewentlow dans la « Deutsche Tages Zeitung »: "Pas de passivité! Quoi qu'il arrive nous ne devons pas par crainte de l'Entente nous abstenir de soutenir la politique russe à l'égard de la Pologne. Il nous faut lui accorder notre participation tangible et active."
Ce "Quoi qu'il arrive", arriva une fois de plus à Varsovie en 1944, mais dans le sens inverse. Cette "participation tangible" fut accordée par Staline à Hitler, devant Varsovie, une fois de plus. Cette fois aussi lenjeu était énorme, car se jouaient à la fois le sort de la bataille de lInsurrection de Varsovie et, en cas de victoire polonaise, laccélération, sacrifiée par Staline, de la marche polono-russe sur Berlin. La Victoire des Alliés sur lAllemagne nazie fut ainsi retardée par Staline de cinq à six mois. Mais, cette fois, la « participation tangible » germano-soviétique à la ruine de la Pologne se passa dans une conjoncture qui permettait difficilement d'en croire nos yeux, même à nous, Français, qui l'avions pourtant déjà vu arriver deux fois : en 1920 et en 1939, lors du pacte Ribbentrop-Molotov, avec ses protocoles secrets dagression, qui avaient scellé la collaboration active et criminelle germano-soviétique jusquen juin 1941. Notamment la collaboration du NKVD et de la Gestapo pendant tout lhiver 1939-1940, sexerçant à lassassinat en commun de la Résistance polonaise, prévu par les protocoles secrets du pacte. (Cf. le documentaire sur « la Gestapo », diffusé sur Arte les 8, 15 et 22 février 2006, et qui a omis cet épisode : cf. A.Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947 », op.cit.). Lorsque la guerre polono-bolchevique avait pris fin en 1921, il restait à considérer les idées géopolitiques de Pilsudski qui auraient pu changer le sort de lEurope. Une idée-force polonaise concernait la fédération dune Union européenne du Centre-Est tournée vers lOccident.
Le fédéralisme, la Fédération ou « Ligue », selon le terme en vogue à lépoque étaient déjà à létude. Pilsudski en était lun des initiateurs. Cette idée de Pilsudski était destinée à créer une situation entièrement nouvelle dans lEst de lEurope. Un accord politique et militaire de la Pologne avec la Lituanie, puis avec la Lettonie et lEstonie aurait modifié léquilibre des forces au Nord. Une Ukraine indépendante ou autonome, liée par une alliance, non à la Russie, mais à la Pologne, et donc à lEurope occidentale, aurait écarté le danger de pénétration russe bolchevique et de colonisation allemande, protégé la Roumanie et ouvert de nouvelles possibilités politiques, démocratiques et économiques à lEurope. Constatons lactualité du projet dans les années 2000 !
Ce que Pilsudski ne savait pas, cest que son projet portait déjà ombrage, non seulement à la Russie et à lAllemagne, mais aussi à la France et à la Grande Bretagne, plus enclines à partager la vision que développera le président tchécoslovaque Edouard Benes. Une idée en germe dans les années 1930, dans la préparation des accords Briand-Benes, et qui aboutira en 1943, quand lURSS sera devenue alliée, au projet de Benes appuyé par le gouvernement français dAlger. Benes voulait faire de lEurope une « pierre angulaire de lédifice européen qui est une collaboration étroite et une alliance solide entre la Grande Bretagne, la France, les Etats Unis, lURSS et la Chine » en vue dune fédération des Etats dEurope Centrale « en bons termes avec les démocraties occidentales, mais sappuyant principalement sur la Russie Soviétique » (de Staline !). Il y avait là un hiatus profond entre la vision fédéraliste de Pilsudski tournée vers lOccident à travers la place dominante de la Pologne, et la vision panslaviste de Benes, organisant le fédéralisme centre-oriental sous la tutelle de lURSS et dans le giron slave de la Russie.
Les socialistes de la Résistance polonaise essayaient de prévenir la France Libre et Benes qui ne prendront conscience de leur erreur quau Coup de Prague en 1948 en rappelant lanalyse que le dirigeant socialiste polonais, Ignacy Daszynski, avait faite en 1920, et qui navait pas vieilli en 1943 : « Le panslavisme et son rôle dans lédification de létatisme russe sassimile fantastiquement aujourdhui au Komintern et aux Soviets. Cest une même propagande messianique internationale au profit de lEtat russe, mais à laide, non du rouble, mais du dollar (observation juste de la « convergence » déjà à luvre AV) ; cest un même camouflage idéologique des objectifs de létatisme soviétique avec des feuilles de vigne socialistes, ou communistes ». (Cf. A.Viatteau, « Staline assassine
», op.cit.). En 1943, le Quai dOrsay recevra un « Projet polonais dUnion Centrale » mettant en garde contre lhégémonie de lURSS. En réponse aux Polonais, un rapport diplomatique français confidentiel dAlger ressasse danciennes réserves de Paris concernant les projets fédéralistes de Pilsudski dans lentre-deux-guerres : « Dans lEurope actuelle, où lAllemagne et la Russie ont acquis une force considérable, il ny a plus de place à la fois pour une France puissante et pour un « Royaume des Jagellons » ». (Cf. Archives du Quai dOrsay, « Projet polonais dUnion Centrale », Alger, 29.10.1943 et Londres, 4.12.1943). La crainte de la renaissance de la Pologne avec sa puissance européenne de jadis, alors quil était et quil est toujours, selon certaines convictions politiques françaises dans lintérêt de Paris de réduire la Pologne à un « petit pays », ou à une puissance « régionale », a été un élément constant et toujours erroné de notre politique étrangère depuis 1918, pour ne pas remonter dès avant la partition de la Pologne.
Au lendemain du retour de lEtat polonais sur la carte de lEurope, en 1918, Pilsudski poursuivait sa vision particulièrement claire de lenjeu de la sécurité de son pays et de lEurope, ainsi que de lensemble du problème des frontières avec ses voisins, dont tous navaient pas été libérés, comme la Pologne, par le Traité de Versailles. En décembre 1919, Pilsudski avait expliqué son projet à Leon Wasilewski, son envoyé à la Conférence dHelsinki :
« Sur les territoires ayant appartenu jadis à la Russie tsariste, des plébiscites doivent absolument être organisés pour décider du sort de lancien Grand Duché de Lituanie, y compris la Lituanie ethnique.( ) La Pologne et la Russie doivent obtenir la garantie daccès aux ports de la Baltique. Il faut poser à la Conférence le problème de lUkraine et faire de la Biélorussie un Piémont, pour pouvoir soulever un jour la question de son autonomie. Il faut que la Pologne obtienne de lEntente la garantie de ses frontières occidentales, ce qui lui permettra den retirer une partie de ses forces armées. La clé de la situation se trouve au Nord. Là, il faut créer un front comprenant la Finlande, lEstonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne. La paix avec la Russie doit être conclue en commun et simultanément par tous ces Etats ». (Cf. Waclaw Jedrzejewicz, « Jozef Pilsudski », éd. LAge dHomme, Lausanne, 1986 ; cf. aussi Kamil Dziewanowski, « Joseph Pilsudski, A European Federalist, 1918-1922 », Hoover Institution Press, Stanford University, California, 1969).
Voilà une vision qui ne choquerait aujourdhui plus personne en Europe. On se demande même pourquoi lEurope na pas adopté les idées polonaises de Pilsudski plus tôt. Mais, à lépoque, la propagande des Allemands et des Russes bolcheviques luttant contre lanéantissement de leurs perspectives dexpansion, dune part, linquiétude compréhensible des Polonais conservateurs, notamment nationaux-démocrates, devant ces audaces privant la Pologne de sa grandeur ancestrale, dautre part ; la méfiance brutale de lUkraine et de la Biélorussie, et, en partie, de la Lituanie, voulant une indépendance pleine et entière, et non une autonomie fédérale ; enfin, la prudence méfiante, dédaigneuse et intéressée des démocraties occidentales, ont rendu le projet fédéral de Pilsudski impossible. « Pilsudski avait une vision dEtat fédéral avec des « cantons » : la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie, et lUkraine, à partir de 1920. Une grande fédération allant de la Roumanie à la Lettonie. Si cette idée avait pu se réaliser, cela aurait été une Union européenne du Centre-Est dont la Pologne aurait été le principal modérateur », écrit en 2004 Joanna Gierowska-Kallaur spécialiste des archives lituaniennes et polonaises et auteur de plusieurs ouvrages scientifiques sur ce sujet. (Cf. J. Gierowska-Kallaur, « Unia ktorej nie bylo » (lUnion qui naboutit pas) in « Tygodnik Powszechny », 30.5.2004, Cracovie). Cependant, le parti nommé jadis « ententophile », fortement représenté dans le milieu polonais national-démocrate de Roman Dmowski à Paris (qui avait, lui aussi dexcellentes raisons), sopposait à cette idée de Pilsudski avec autant de vigueur que Paris même. Les nationaux-démocrates polonais voulaient la réintégration pure et simple des confins orientaux à la Pologne, et Paris refusait la perspective de voir la Pologne redevenir le principal acteur face à la Russie à lEst, dans une configuration politique nouvelle et moderne.
« Une Union européenne du Centre-Est aurait porté atteinte aux intérêts de la Russie, quelle que fût sa couleur politique, et aux intérêts allemands. La Russie et lAllemagne avaient besoin déveiller des sentiments anti-polonais en Lituanie. La Russie, lAllemagne et la Lituanie avaient besoin de sentiments anti-polonais en Biélorussie. Les historiens de ces pays ont encore beaucoup à découvrir dans les archives de lépoque ». (Cf. ibidem). Cest une vaste tache blanche dans lhistoriographie française également.
Cest dans ce contexte international que la victoire polonaise et occidentale dans la guerre polono-bolchevique de 1918-1921 a été capitale. Ce fut une victoire qui sauva lEurope, mais éveilla contre la Pologne la haine de lUnion soviétique totalitaire et de lAllemagne qui allait le devenir bientôt. Pilsudski, en tant que chef de guerre et concepteur du plan de bataille en août 1920 sur la Vistule, mais aussi les généraux Rozwadowski et Sikorski, ainsi que les soldats polonais, auxquels le capitaine de Gaulle rendit hommage, sauvèrent lEurope du déferlement bolchevique germano-russe. Lénine et Trotsky sétaient appuyés tant sur le mouvement spartakiste allemand dextrême gauche que sur des corps-francs allemands dextrême droite pour jouer de la volonté des deux pays de prendre leur revanche contre le Traité de Versailles.
« Une aide allemande active est acquise aux Russes rouges, qui comptent forcer la Coalition à réviser le Traité de Versailles », constataient le 2ème Bureau polonais et lobservateur anglais, le colonel Spedding de la Mission militaire britannique auprès du Commandement polonais, au lendemain de la victoire de la Vistule. « Un ancien officier allemand attaché à létat-major général de la XIIème armée bolchevique à Ostroleka, et travaillant pour la Russie en tant quintermédiaire entre communistes allemands, russes et anglais, a reconnu à Kovno (Kaunas) que le plan de larmée bolchevique est de conclure une alliance avec lAllemagne pour déclarer la guerre à la France ». Voilà lun des messages secrets de Berlin interceptés par le Renseignement de Pilsudski le 19 septembre 1920, un mois après la défaite russe sur la Vistule. La guerre secrète sest poursuivie bien après lultime victoire polonaise sur le Niémen qui aboutira au Traité polono-russe de Riga du 17 mars 1921. (Cf. « Sasiedzi wobec wojny 1920 roku » (Les voisins de la Pologne pendant la guerre de 1920), archives éditées par Janusz Cisek, op.cit.; cf. aussi Pawel Zaremba, « Historia Dwudziestolecia, 1918-1935 » (LHistoire des 20 années de 1918-1935), éd. Instytut Literacki, Paris, 1981). Le 2 octobre 1920, lorsque lArmée rouge battit en retraite devant les armées polonaises et dut se rendre, acceptant sa défaite, Lénine déclara : « Si la Pologne était devenue soviétique (
) la paix de Versailles aurait été pulvérisée et tout le système international établi grâce à la défaite de lAllemagne aurait succombé. (
) Si loffensive de lArmée rouge avait été victorieuse, non seulement Varsovie aurait été prise, mais la paix de Versailles aurait été détruite ». (Cf. ibidem).
Voilà ce que lEurope devait à la Pologne. Et, cest pour renforcer le « bouclier » polonais, que Paris et Londres avaient appuyé le combat de leur alliée, tout en observant que sa victoire ne tourne pas trop au désavantage de la Russie. Les plans et les agissements germano-soviétiques auraient pourtant dû inciter la France et lAngleterre à se ranger plus énergiquement quelles ne lont fait du côté de Pilsudski et de ses plans de paix constructive à lEst et à lOuest de la Pologne, sans craindre pour elles de rivalité polonaise. Il nen a rien été. On aurait dit que le danger géopolitique réel échappait à nos chancelleries.
Cest la raison pour laquelle, après la terrible expérience de loccupation bolchevique de Riga en 1919, et devant la volonté russe doccuper Wilno, Grodno, Lida (portant à lépoque leurs noms polonais) « aussi longtemps que lexigeront les nécessités stratégiques de les occuper », clamait Lénine ; cest à dire à linfini, quand on comprend le langage de Moscou, Pilsudski donna lordre à ses troupes dentrer dans Wilno : lordre de « libérer et non doccuper Vilnius », comme le précise aujourdhui, devant la persistance de la désinformation héritée de lURSS, lhistorienne lituano-polonaise Joanna Gierowska-Kallaur (Cf . J.Gierowska-Kallaur, op. cit. ; cf. aussi A.Viatteau, « La Lettonie au musée dhistoire du communisme », classique de science politique n°7, janvier 2006, www.diploweb.com ).
Le 8 octobre 1920, sans attendre les décisions politiques de la Coalition qui traînent en longueur, Pilsudski donne, dans lurgence, lordre au général Zeligowski (et non Jelikowski, comme on le trouve parfois écrit à la russe en France), à la tête de sa Division lituano-biélorusse qui venait de se couvrir de gloire contre les bolcheviques, de s« insurger », et de reprendre Vilnius, malgré les protestations et les notes des gouvernements anglais et français. Pilsudski était décidé à mettre rapidement fin à cette guerre, où il avait limpression que la France et lAngleterre voulaient que la Pologne servît de gendarmerie mobile à lEntente, parfois au détriment de ses propres intérêts.
Ainsi, Pilsudski a mené le combat à son terme, et il a pu imposer un armistice aux bolcheviques le 12 octobre 1920, mettant fin à la guerre, du moins aux opérations militaires. Car la propagande et la désinformation, tant de Moscou que de Berlin, allaient bon train. Elles népargnaient ni Paris, ni Londres. Le sujet mérite une étude approfondie à partir des archives disponibles, car des retombées de ces propagandes ont subsisté dans la diplomatie de tout lentre-deux-guerres, et subsistent dans lhistoriographie jusquà aujourdhui.
Cest ainsi que la Pologne et Pilsudski sauvèrent pour vingt ans le système international européen. Cependant, lEntente voulait reconstituer une Russie puissante au détriment de la puissance, ou de linfluence polonaise. Lémigration russe, notamment celle issue de la Révolution de Février 1917, offrait aussi une alliance à la Pologne, dont elle attendait refuge et protection contre les bolcheviques dOctobre. Mais, de Paris, elle prévenait Varsovie que « la Russie ne permettrait jamais lexistence dune Lituanie, Estonie, Lettonie indépendantes, car elles nétaient pas plus mûres que lUkraine pour lindépendance », ainsi que le rapportait Savinkov à Pilsudski. (Cf. Stanislaw Kowalczyk, « Savinkov », éd. LNB, 1992, Varsovie).
Lancien Ambassadeur de la République Polonaise à Paris, le Professeur Jerzy Lukaszewski, expliquait le 17 mai 1995, dans lamphithéâtre Guizot de la Sorbonne que « dans lhistoriographie ouest-européenne, la guerre polono-russe de 1920 avait toujours fait naître des controverses. Sa genèse et ses conséquences étaient lobjet dinterprétations éludant ou déformant la vérité historique. (
) Cest ainsi que les interprétations des faits par lhistoriographie occidentale salignaient sur celles des historiens russes et soviétiques ».
Lhistorien polonais Andrzej Ajnenkiel, spécialiste de lhistoire militaire, est du même avis. Il constate lui aussi que « des décennies durant, on a cherché à nous imposer la version de notre « impérialisme » polonais, alors que la réalité était autre ». Lancée par Lénine et Trotsky contre la Pologne pour porter la révolution bolchevique à « lUnion européenne prolétarienne », lArmée rouge trouva en février 1919 face à elle, en arrivant déjà sur la rivière Bug, à Brest-Litovsk, les armées polonaises. La Pologne livra dès lors un combat, qui était vital pour elle, et qui était vital aussi pour lOccident, afin dempêcher la réalisation par les armes et par la terreur de la « Fédération communiste » de lEurope.
En signant la paix de Riga, la Pologne laissait hélas aux mains des Soviétiques des territoires peuplés de Polonais. Elle cessait la lutte armée contre la Russie soviétique, et progressivement tout appui aux organisations de résistance et aux armées étrangères, russes ou ukrainiennes. Varsovie intégrait seulement dans les rangs de lArmée polonaise les officiers et soldats étrangers de ces formations exposées à la vindicte de Moscou, et leur donnait le droit dasile. Dans les dix jours suivant le 21 novembre 1920, 35 000 soldats ukrainiens sont passés du côté polonais, ainsi que 15 000 soldats biélorusses. La Pologne avait-elle raison de mettre fin à la guerre avec les bolcheviques, que la France et lAngleterre voulaient encore lui faire combattre, tout en poursuivant elles-mêmes avec la Russie des relations fructueuses ? Pilsudski a fait ce choix pour permettre à son pays de se reconstruire, pour le tourner vers lOuest et vers la France. Pour tenter de bâtir enfin la paix européenne. Cependant, en Lituanie, en Biélorussie, en Ukraine, à Prague, à Vienne, à Berlin, à Berne, à Paris ou à Londres, des agents bolcheviques et allemands continuaient à uvrer à la provocation de mouvements et dincidents à lEst, pouvant servir de prétexte à des « interventions de détachements rouges nationaux, mais créés par des bolcheviques de Moscou » et à des « actions de propagande soviétique », ainsi quen témoignent les archives de lépoque. (Cf. J.Cisek, op.cit.).
« Les tentatives depuis 1918 de lArmée rouge de porter à la pointe des baïonnettes la révolution à lOuest de lEurope fut brisée, écrit lhistorien Andrzej Ajnenkiel. La Pologne a sauvé plusieurs pays de la cruelle expérience qui, depuis 1917, était vécue par les Russes, les Ukrainiens, les Biélorusses, pour ne parler que de ces nations-là. Le Traité de Riga, bien quil apportait des décisions amères et décevantes aux Ukrainiens et aux Biélorusses, fondait, en stabilisant la situation en Europe Centrale et Orientale, la garantie de lexistence étatique indépendante de nos voisins du Nord-Est : de la Lituanie, Lettonie, Estonie et Finlande. Le fait établi garantissait à la Roumanie ses frontières, mais aussi son indépendance. Il y a eu en effet peu de solutions militaires qui, en une seule fois, ont eu tant de poids historique que la bataille de la Vistule.
« Ce qui témoigne le mieux du rôle que la Pologne a joué grâce à lissue de la bataille de Varsovie, cest le fait que, lorsque lon manqua de son influence stabilisante vingt ans plus tard, le pacte Ribbentrop-Molotov apporta aussi la chute aux Pays Baltes, ainsi que des épreuves aux nations de cette région épreuves quavaient subies plut tôt , sous le bolchevisme, Russes, Ukrainiens et Biélorusses ». (Cf. Andrzej Ajnenkiel, Postface à « La dix huitième bataille décisive du monde devant Varsovie en 1920 » dEdgar V. dAbernon, éd. PWN, Varsovie, 1990).
Et la chute du camp soviétique, au seuil du XXIème siècle, notamment grâce à la résistance sans trêve des Polonais, ainsi que le rétablissement de la Pologne dans le concert des nations démocratiques occidentales, ont redonné leur indépendance aux Pays Baltes voisins, ainsi quaux pays voisins de lEst ; ils ont amené à lintégration de ces pays à lUnion européenne, et ils contribuent à stabiliser et à démocratiser la région au détriment de la survivance du « bloc » soviétique. On vient den voir encore laccomplissement démocratique en Ukraine, en hiver 2004-2005. Mais, on assiste également à la riposte russe du Kremlin à chacune de ces libérations et émancipations. Réactions politiques ou économiques, notamment gazières, comme on la vu en hiver 2005-2006. Par ailleurs, le président Poutine a nommé, le 22 mars 2005, un proche du principal idéologue Gleb Pavlovsky, Modeste Kolerov, rédacteur en chef de lagence dinformation « Regnum », pour diriger les « contacts avec létranger ». Notamment pour « nourrir la réflexion sur la nécessité de reconstruire lempire russe, de récupérer par la Russie ses influences sur létendue de lancienne URSS, de prendre des mesures de prévention contre les ennemis intérieurs et extérieurs (LUE et lOTAN) et contre le complot des ennemis qui ont causé les « révolutions de velours » en Géorgie et en Ukraine ». En ce qui concerne les Pays Baltes, Kolerov a écrit : « Loccupation des pays baltes nest pas, dans limmédiat, dans lintérêt de la Russie. Mais, si elle apparaît comme profitable, il ny a pas dobstacles formels » (sic !) (Cf. « Tygodnik Powszechny », mars 2005, Cracovie).
Simultanément, on assiste aussi à une recrudescence des tentatives de la Russie actuelle de combattre et damoindrir sur la scène internationale, dans la diplomatie et dans lopinion, linfluence de la Pologne. « De quoi ont-ils si peur ? », se demandent des observateurs et des spécialistes internationaux à propos des hommes du président Poutine engagés dans « lopération médiatique » (Internet, presse, audiovisuel), ainsi que dans « un grand projet déducation », et chargés de « vacciner » les partenaires européens et atlantistes de la Pologne, les nations libérées de lUnion soviétique et membres de lUE, ou candidates à lentrée dans lUnion, ainsi que les Russes eux-mêmes ; de les « vacciner aux idées, aux contacts, aux influences de la Pologne comme exemple dun pays actif sur le forum international et potentielle concurrente (de la Russie) ». Pour cela, le Kremlin encourage notamment le maintien de la désinformation concernant lhistoire des relations russo-polonaises, du massacre de Katyn et du génocide polonais commis par lURSS de Staline, de la participation des forces armées polonaises à la Victoire sur le nazisme (comme on la vu le 9 mai 2005 à Moscou), de lhistoire de la Pologne en général. Moscou tient particulièrement à lamoindrissement du rôle et de la contribution de la Pologne et des Polonais au développement de lEurope ; de leur action et de leur exemple pour lEurope occidentale et pour lEurope du Centre-Est. (Cf. « Dossier russe » in revue « Znak », n°10/05, et « Tygodnik Powszechny », 6.11.05, Cracovie).
Jusquoù la France sengage-t-elle, sans le savoir ou sans sen rendre pleinement compte, à la suite de la Russie dans cette voie de la désinformation mensongère par action et par omission , ou de la mésinformation née de lignorance ? En même temps, nous voyons là toute la délicate transition de la désinformation à lintoxication. Cette dernière est une arme de guerre, militaire ou civile, qui consiste à faire raisonner juste sur des données fausses, et donc à plonger les observateurs et les acteurs mêmes de la géopolitique actuelle et future dans lerreur et la confusion. Suite du texte
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