Aux origines de la Belle Polonaise : cherchez
lhomme ! François Rosset Université de Lausanne Bibliothèque Polonaise de Paris, 25 mars 2006 Il y a toujours quelque chose dinsaisissable dans les stéréotypes nationaux, ces formules figées qui associent des qualificatifs souvent désobligeants aux représentants de telle ou telle nation. Dhabitude, lorigine de ces formules est difficile à établir ; pour le faire, il arrive quon exhume ou quon invente des anecdotes, par exemple pour expliquer, sous une autorité aussi sérieuse que celle de Napoléon, tout le bien quil faut penser de lexpression « boire » ou « être saoul comme un Polonais ». Mais le plus fréquemment, lenquête sur les origines se perd dans lenchevêtrement des témoignages de lexpérience individuelle, des habitudes langagières ou des formes codifiées de lexpression plus ou moins littéraire, au croisement de la réalité, des fantaisies de limagination et des pratiques culturelles de convention. Les Belles Polonaises néchappent pas à ce constat très général. Car, hélas, il ne suffit pas daffirmer que lexpression ne ferait que refléter une réalité incontestable et reconnue de tous. La question nest évidemment pas de savoir si les Polonaises sont belles ou non, voire même, si elles seraient, par évidence statistique, plus belles que les autres femmes de lEurope, quand ce nest pas du monde entier. Il sagit plutôt dessayer de comprendre pourquoi, à partir dun certain temps (sans doute fort incertain), on a commencé à associer les Polonaises à cette valeur esthétique suprême, la beauté, qui a toujours été incarnée dans des modèles et définie dans les termes de canons toujours incontestables comme tels, mais évidemment très variables dans lespace comme dans le temps. Il est donc très difficile de savoir quand la rencontre de Polonaises aurait suscité des jugements suffisamment admiratifs pour que sélabore une expression appelée à durer à travers les siècles. Mais ce quil est possible de faire, cest denquêter dans le patrimoine culturel de la France pour tenter de localiser les documents qui, les premiers, exploitent cette expression comme la formulation dune vérité largement reconnue ou encore, pour dire les choses autrement, les textes qui, les premiers, évoquent la Belle Polonaise dans les termes dun cliché. Une telle enquête nous montre que bien avant Maria Walewska, Mme Hanska ou Tamara Lempicka, ce sont les hommes, les vigoureux Sarmates, qui, depuis le dernier quart du XVIe jusquau milieu du XVIIIe siècle, ont suscité ladmiration des Français, au point que dassumer un véritable lieu commun qui traverse tout le XVIIe siècle, celui du Beau Polonais. Lexamen des circonstances qui ont donné le jour à ce cliché masculin nous montre bien quil ny a pas lieu de sinterroger sur la beauté en tant que telle, ni sur les êtres qui sont censés la représenter. Les beaux Polonais ne sont pas qualifiés ainsi parce quils seraient intrinsèquement beaux, mais parce quils sont perçus comme tels. Ce parcours à travers lhistoire de la constitution de ce lieu commun masculin, ainsi que dans les textes qui lont véhiculé, permettra de comprendre quels sont les mécanismes culturels et langagiers qui président à la constitution de ce type dexpression. On comprendra par la même occasion sur quelle base sest constituée la figure de la Belle Polonaise, laquelle nest quune inversion de celle du Beau Polonais qui la chronologiquement précédée. Il sera donc démontré que la Belle Polonaise nest pas une effigie du romantisme qui se serait imposée à la faveur dune soudaine apparition, mais le produit dun lent et riche processus culturel . Vous pouvez retrouver le contenu de la présentation du Professeur François Rosset à la Bibliothèque Polonaise de Paris le 25 mars 2006 dans son ouvrage « Larbre de Cracovie. Le mythe polonais dans la littérature française 1573-1896 » Paris, Imago, 1996 (traduction polonaise, Cracovie, Znak, 1997).
|